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Santé mentale des aînés : la fin des tabous ?

Le 10 octobre est la journée mondiale de la santé mentale. Dans ce cadre, Sébastien Grenier, psychologue clinicien, directeur du laboratoire LEADER au CRIUGM et professeur agrégé à l’Université de Montréal, nous éclaire sur l’anxiété et la dépression chez les aînés, des maux longtemps restés tabous. Entre recherche, intervention clinique et formation de la relève en psychologie, le chercheur s’active pour libérer la parole autour de ce sujet.

La population québécoise est l’une des plus vieillissantes au monde. En fonction des études, 6 à 10% des personnes de 65 ans et plus présentent des troubles d’anxiété. Les troubles de dépression majeure, eux, touchent de 3 à 4% des aînés. Or, le nombre de personnes concernées par ces troubles augmente chaque année.

La vision de la santé mentale des aînés a-t-elle évolué aujourd’hui ?

Il y a dix ans, lorsqu’on abordait le sujet du bien-être des personnes aînées, la santé physique et la santé cognitive étaient toujours mises de l’avant, mais la santé psychologique, elle, était oubliée. Ces dernières années, j’ai pu observer une évolution croissante de l’intérêt porté à la santé mentale des personnes aînées avec un virage important en 2020, aux débuts de la pandémie COVID-19. Il y a depuis un regain d’intérêt au niveau des médias, des politiciens et dans la population. La pandémie a joué un rôle d’accélérateur en ouvrant les yeux de la société sur les conditions psychologiques des aînés. Elle a aussi entraîné une augmentation des possibilités de financement qui sont devenues plus nombreuses pour les travaux de recherche sur ce sujet. Même si nous parlons beaucoup de santé mentale depuis la pandémie, certaines croyances et stigmatisations que vivent les aînés avec des troubles d’anxiété voire de la dépression n’ont pas disparu pour autant. Souffrir d’anxiété dans sa vieillesse n’est pas une fatalité ou une honte à cacher. Il ne faut pas hésiter à consulter et se faire aider, car il est difficile de s’en défaire sans faire de psychothérapie. Cette dernière n’est pas réservée qu’aux jeunes ! Les études scientifiques montrent d’ailleurs que les aînés y sont très réceptifs.

Quels sont les enjeux autour de la santé mentale des aînés ?

Un des enjeux que je peux citer est le manque de psychologues formés en gériatrie au Québec comparativement à d’autres provinces canadiennes où des formations spécialisées sont plus répandues. Il faut augmenter le bassin de psychologues réellement spécialisés en vieillissement pour offrir un service adéquat aux personnes âgées dans le besoin de consulter. Les neuropsychologues sont par exemple plus nombreux alors que ce n’est pas la majorité des aînés qui développeront une maladie neurodégénérative comme celle de la maladie d’Alzheimer. Par contre, nombreux sont les aînés qui présenteront des troubles anxieux ou dépressifs.

Un autre point est le problème généralisé du manque d’accès à la psychothérapie. De nombreuses personnes âgées vivent en régions éloignées dans des villages un peu partout au Québec. Aller à un rendez-vous alors qu’on est en perte d’autonomie ou qu’on a des soucis de santé n’est alors pas évident. C’est fort de ce constat d’inaccessibilité, que j’ai eu l’idée de mettre en place le programme VIEsÂGE, pour VIvrE sans Anxiété pour les personnes âGÉes, et dont je suis le directeur scientifique.

Pouvez-vous nous expliquer un peu plus ce projet ?

Le programme VIEsÂGE a officiellement été lancé en mai 2023. C’est la Fondation Mirella et Lino Saputo qui, voulant venir en aide aux personnes aînées souffrant de détresse psychologique, a fait un don important à la Fondation Institut de gériatrie de Montréal pour implanter le programme. Comme je l’expliquais précédemment, les personnes aînées en détresse n’ont pas toujours accès à des services de psychothérapie, par contre, elles ont plus facilement accès à des organismes communautaires dans leur quartier. L’idée avec VIEsÂGE est d’outiller et de former les ressources humaines de ces organismes partout au Canada, directement sur le terrain. L’objectif est que ces ressources puissent identifier les signes de détresse psychologique chez une personne âgée afin de pouvoir l’aider ou la référer aux ressources compétentes. Durant la dernière année, nous avons formé plus de 2 100 employés, bénévoles ou gestionnaires répartis dans plus de 500 organisations œuvrant auprès des personnes aînées, et ce, partout au Québec !

Comment distinguer l’anxiété de la dépression chez les aînés ?

Dans le cas de l’anxiété, la personne âgée se projette dans le futur de manière négative. Cela se présente souvent sous la forme d’inquiétudes. Elle anticipe des dangers ou des catastrophes désastreuses. La peur de perdre son autonomie, de chuter, la peur de perdre la vue, l’ouïe ou la mémoire, celle d’être abandonnée par ses enfants ou encore d’être placée dans un CHSLD en sont des exemples. Jusqu’à un certain point, ces inquiétudes sont normales lorsqu’une personne vieillit, car elle se questionne sur son avenir. Elles deviennent problématiques lorsqu’elles empêchent la personne de fonctionner normalement. Cela peut se traduire par des insomnies ou des tensions musculaires par exemple. Il y a de nombreux critères à prendre en compte avant de poser un diagnostic.

La dépression à l’inverse est un retour dans le passé de façon négative. La personne vieillissante se compare à la personne qu’elle était autrefois et aux capacités qu’elle avait comme une meilleure forme physique ou une meilleure mémoire par exemple. Cette comparaison et ce blocage dans le passé vont l’emmener à se dévaloriser et se sentir découragée. La dépression peut se manifester à travers de l’irritabilité, une perte de motivation, ou encore de l’agitation. Attention, seul un professionnel pourra poser le diagnostic, car présenter ces symptômes ne veut pas automatiquement dire que la personne est dépressive. C’est un défi de repérer chez les personnes âgées de l’anxiété ou la dépression, car elles peuvent être camouflées par des problèmes de santé physique comme des douleurs chroniques ou résulter d’effets secondaires de médicaments. La santé physique, la santé psychologique et la santé cognitive sont interreliées.

Quels sont les facteurs de risque liés à l’anxiété chez les ainés ?

Cette année, j’ai travaillé avec un groupe canadien d’experts chapeauté par la coalition canadienne pour la santé mentale des personnes âgées. Suite à cette collaboration, nous avons publié les lignes directrices canadiennes sur l’évaluation et le traitement de l’anxiété chez les personnes aînées. Nous avons relevé durant le projet de nombreux facteurs de risque. Tout d’abord, le fait d’être une femme augmente les risques de développer de l’anxiété, mais c’est aussi vrai pour un jeune adulte. Avoir un handicap ou être en mauvaise santé augmente également les risques de souffrir d’anxiété en vieillissant. C’est également le cas si une personne a des problèmes cognitifs ou qu’elle est isolée ou se sent seule. Dans ces cas c’est un cercle vicieux, car les pertes cognitives augmentent les risques d’anxiété, tandis que souffrir d’anxiété sur une longue durée augmente les risques de développer des troubles cognitifs. Il en est de même pour l’isolement, car plus nous nous isolons plus nous sommes sujets à l’anxiété et plus nous sommes anxieux, plus nous nous isolons…

Toujours selon votre étude, quels sont alors les facteurs de protection contre l’anxiété ?

Premièrement, être satisfait de sa vie. C’est un processus normal que de faire le bilan de sa vie lorsqu’on vieillit et que la mort approche. Les personnes qui sont fières de ce qu’elles ont accompli de leur vie sont plus en paix avec elles-mêmes. À l’inverse, si le bilan n’est pas concluant, cela peut vite devenir anxiogène pour la personne qui se dit qu’elle n’a plus assez de temps pour accomplir ce qu’elle n’a pas encore pu faire. Deuxièmement, entretenir des liens sociaux. En effet, ces liens sociaux sont essentiels à notre bien-être, car plus une personne se retrouve isolée et plus sa santé risque de se dégrader. Troisièmement, maintenir une participation sociale qui est un concept assez populaire en vieillissement. Le fait d’être impliqué dans une communauté, d’y avoir une place et d’apporter sa contribution est un facteur de protection. Que ce soit dans un groupe de bénévoles, un club de marche ou de lecture, cela contribue au sentiment d’appartenance. Enfin, entretenir une spiritualité ou avoir une appartenance religieuse. Il semble que les personnes avec des pratiques religieuses ou spirituelles sont mieux protégées contre l’anxiété et la dépression. Cependant, ce facteur de protection risque de disparaître avec les nouvelles générations de personnes aînées au Québec. Parmi les baby-boomers beaucoup ont complètement abandonné la foi suite aux nombreux abus de l’Église catholique par exemple.

Comment peut-on soutenir la santé mentale des personnes aînées ? Quel message souhaitez-vous faire passer ?

Il est important de prendre le temps d’écouter les personnes âgées et de leur donner la place qui leur revient dans la société. Nous devrions nous soucier de leur bien-être et de leur ressenti. La société est pour l’instant encore très âgiste avec beaucoup de jugements et d’étiquettes envers les aînés. De plus, les personnes âgées ne sont pas très visibles autour de nous. Il y a un peu d’amélioration, mais dans les médias ou à la télévision par exemple, à partir d’un certain âge elles ne sont quasiment plus représentées. La société doit s’efforcer d’être plus inclusive.

J’aimerais également rajouter qu’il faut apprendre de leur expérience. Elles ont une sagesse et une richesse à transmettre qui ne sont pas assez valorisées dans notre société nord-américaine. C’est vrai qu’au quotidien j’aide des personnes aînées en thérapie, mais si vous saviez à quel point elles m’aident en retour à porter un regard différent sur la vie ! Prenons la question de l’équilibre vie familiale-travail. Dans mes échanges, quand je demande aux personnes âgées de quoi elles sont le plus fières dans leur vie, c’est rare qu’elles évoquent leur travail ou alors très peu. Elles vont plutôt parler de leurs enfants, de leur famille ou de leurs voyages. Finalement, elles nous rappellent que les relations sont le cœur de la vie et cela permet de réajuster nos priorités !