Rédaction : Brenda Pierucci, Agente des communications

Bien qu’encore taboue, l’incontinence urinaire touche une femme sur deux de plus de 65 ans au Canada ! À l’occasion de la Journée internationale d’action pour la santé des femmes, nous avons voulu lever le voile sur cette réalité encore trop méconnue. Rencontre avec Chantal Dumoulin, directrice du laboratoire Santé des femmes et vieillissement au CRIUGM, dont les recherches visent à améliorer la santé pelvienne et la qualité de vie des femmes âgées.
Quel chemin t’a menée jusqu’ici ?
Je suis physiothérapeute de formation. J’ai débuté ma pratique à l’hôpital Sainte-Justine, où j’ai été amenée à travailler au département d’obstétrique avec les nouvelles mamans souffrant de problématiques urinaires, périnéales ou encore de descente d’organes. Même si j’étais plutôt novice sur ce sujet, il m’a rapidement passionné. J’ai ainsi repris mes études et fait une maîtrise de recherche et plus tard un doctorat. Durant cette période, je travaillais avec les patientes à renforcer les muscles de leur plancher pelvien à l’aide d’exercices, et je souhaitais en évaluer les effets. J’ai ainsi développé un dynamomètre me permettant de mesurer la force musculaire du plancher pelvien. À cette époque, il n’y avait pas d’outil comparable permettant de mesurer les changements de fonction musculaire pour ce type d’intervention.
Après mon doctorat, j’ai complété des études postdoctorales en imagerie pelvienne à l’Université Stanford puis j’ai été recrutée en 2007 au CRIUGM pour travailler avec des femmes âgées. J’ai alors mené un jury citoyen, une méthode de recherche participative, afin d’impliquer les femmes âgées touchées par l’incontinence dans le processus de réflexion de mes projets de recherche. Cette initiative m’a permis de mieux comprendre leurs besoins et de développer des programmes d’exercices adaptés à leur âge, incluant notamment des approches en groupe. Mes recherches ont également porté sur une meilleure compréhension des différences entre incontinence chez les femmes en phase post-natale et incontinence chez les femmes âgées. Actuellement, je suis professeure à l’École de réadaptation de l’Université de Montréal où je dirige le programme de deuxième cycle en rééducation périnéale et pelvienne pour former les physiothérapeutes à cette approche. Je suis également chercheure associée au CRCHUM, où je m’intéresse cette fois à la prévention de l’incontinence chez les jeunes femmes.
Qu’est-ce que l’incontinence ? Quelles en sont les causes ?
Selon l’International Continence Society (ICS), l’incontinence urinaire se définit comme toute perte involontaire d’urine ayant un impact sur la qualité de vie de la personne qui en souffre. Lorsqu’elle n’est pas causée par une infection ou une maladie neurologique, l’incontinence est généralement une condition chronique. La principale cause de l’incontinence est l’affaiblissement des muscles du plancher pelvien (ou périnée), situé à la base du bassin, entre le pubis et le coccyx. C’est le cas pour l’incontinence d’effort, la forme la plus fréquente, où la perte d’urine survient lors d’un effort physique ou d’une pression soudaine exercée sur la vessie (éternuement, rire, saut, etc.). Chez la femme, cet affaiblissement se produit souvent pendant la grossesse, en raison du poids du bébé, ainsi qu’au moment de l’accouchement, où les muscles sont fortement étirés. La ménopause et le vieillissement affectent également les muscles du plancher pelvien. Avec le temps, sous l’effet de la pression abdominale répétée, les muscles pelviens se relâchent et ne forment plus un plancher solide, mais plutôt un « hamac ». D’autres causes, moins fréquentes, peuvent également fragiliser le périnée, comme une constipation chronique, la pratique intensive de sports à fort impact (trampoline, haltérophilie), ou encore le fait d’être en surpoids.
Une autre cause fréquente de l’incontinence est liée à une vessie dite « nerveuse » ou hyperactive. Elle se contracte plus que la normale et provoque des envies urgentes difficiles à contrôler. Il s’agit ici de l’incontinence d’urgenturie. Elle peut avoir plusieurs origines, entre autres le vieillissement du système neurologique de la vessie qui fait en sorte que la vessie devient plus facilement irritable. Il est cependant possible de réduire les symptômes en modifiant son alimentation, en évitant certains irritants de la vessie (alcool, caféine et les mets épicés) et en consultant un professionnel de santé pour en identifier les causes de manière plus précise. Chez les femmes âgées, on observe souvent une incontinence mixte, c’est-à-dire un mélange des deux formes précédentes. Elle associe une faiblesse musculaire du plancher pelvien à une hyperactivité de la vessie, souvent liée au vieillissement.
Comment traiter l’incontinence et peut-on en guérir ?
Oui on peut tout à fait guérir de l’incontinence ! Il faut tout d’abord renforcer les muscles du plancher pelvien et ensuite calmer la vessie nerveuse. Chez les femmes âgées incontinentes, il y a fréquemment des problèmes de contrôle musculaire du plancher pelvien. On va donc privilégier des exercices de force, d’endurance, de rapidité et de coordination afin de corriger au mieux le manque de contrôle. Ce type d’exercices peuvent être pratiqué trois fois par semaine à titre préventif. Pour une réadaptation intensive, on recommande un programme d’entrainement de douze semaines, à raison de cinq séances d’exercices par semaine. Les résultats de nos essais cliniques randomisés montrent qu’après 12 semaines de traitement, en moyenne 78 % des patientes sont guéries de leurs fuites urinaires. La grande majorité obtient donc une résolution complète de leur problème. En parallèle du renforcement musculaire, il est essentiel de réduire la pression exercée sur le plancher pelvien en identifiant les causes, comme la constipation chronique, une toux persistante, ou une activité sportive intensive, afin de maintenir les acquis de la réadaptation musculaire. Une bonne hygiène vésicale est également primordiale. Il est recommandé de ne pas se retenir et d’aller aux toilettes régulièrement, environ toutes les trois heures. Il faut aussi boire suffisamment, sans excès : entre 1,5 et 2 litres d’eau par jour. Une bonne hydratation se traduit par une urine de couleur jaune pâle. À l’inverse, une urine jaune foncée et concentrée peut irriter la vessie et doit être évitée. En combinant la rééducation de la vessie aux deux premiers points on peut traiter l’incontinence de manière globale et efficace.
Sur quel projet travailles-tu actuellement et quel est son objectif ?

l s’agit d’un projet pilote financé par les IRSC pour développer Oups!, une application mobile qui se base sur mes résultats de recherche. Conçue avec l’aide d’étudiantes de mon laboratoire, de chercheurs en informatique et en génie, elle propose un programme de trois mois d’exercices de renforcement du plancher pelvien, à réaliser en autonomie. L’application est reliée à un objet connecté (tampon vaginal) qui mesure la force du plancher pelvien. Le fonctionnement est simple : une fois l’objet inséré, l’application guide l’utilisatrice à travers une série de contractions et de relâchements.
Le programme est progressif. Un calendrier de suivi permet également de noter les fuites urinaires pour évaluer les progrès. À ce jour, 9 participantes ont été recrutées sur les 36 prévues pour tester l’application et l’objet connecté.
L’objectif est de voir comment les femmes s’approprient l’outil et de déterminer si ce dernier les aide à réduire leurs fuites urinaires. En parallèle, nous collecterons des données pour développer, grâce à l’intelligence artificielle, un algorithme capable de davantage personnaliser l’expérience pour chaque utilisatrice. Il pourra par exemple détecter la réalisation de mouvements incorrects à l’aide de capteurs de mouvements intégrés à l’objet connecté. L’information sera alors enregistrée et transmise à l’utilisatrice pour qu’elle puisse corriger son mouvement. Actuellement, ce genre de dispositif est peu répandu et ceux existants ne mesurent pas toujours réellement la force du plancher pelvien. Je suis donc très enthousiaste à l’idée de faire tester cet outil novateur.
Quels sont les impacts de l’incontinence sur le quotidien des personnes concernées ?
L’incontinence a un impact significatif sur la qualité de vie des personnes qui en souffrent. Au niveau physique, le contact avec l’urine sur la peau peut par exemple entraîner des irritations cutanées. Chez les personnes âgées, l’incontinence augmente aussi le risque de chutes lorsqu’elles se précipitent aux toilettes, en raison de problèmes plus fréquents de mobilité ou d’équilibre. D’un point de vue psychologique, les femmes souffrant d’incontinence ont tendance à s’isoler socialement parce qu’elles craignent de ne pas pouvoir se contrôler en public et ressentent de la honte. Certaines arrêtent alors le sport ou toutes sorties sociales pour éviter les situations à risques. Des études ont d’ailleurs démontré un lien entre incontinence et dépression. Les personnes incontinentes peuvent aussi appréhender l’intimité et la sexualité par crainte d’avoir des fuites urinaires pendant l’intimité ou de dégager une odeur désagréable. Enfin, sur le plan économique, les dépenses liées à la situation, comme les frais médicaux ou l’achat de protections et de produits d’hygiène, peuvent rapidement peser dans la balance. Très souvent, les personnes incontinentes s’autostigmatisent en intériorisant les préjugés reliés à leur condition. Leur participation à des groupes dans le cadre de mes projets de recherche leur permet d’échanger librement, d’avoir un nouveau regard sur leur situation et surtout de réaliser qu’elles ne sont pas seules.
Il arrive très souvent que les personnes âgées entendent qu’avoir des fuites urinaires est une conséquence normale du vieillissement. Pourtant, ce n’est pas une fatalité. L’incontinence peut être prise en charge et, dans de nombreux cas, améliorée, voire corrigée ! Il ne faut surtout pas garder le silence, s’isoler, ou arrêter les activités du quotidien. Parler à son médecin et consulter un·e physiothérapeute est le bon réflexe à avoir afin de trouver les solutions adaptées à sa situation.
Texte rédigé par Brenda Pierucci, Agente des communications
Voudriez-vous participer à un projet de recherche ?
L’application mobile Oups! développée par notre Laboratoire est présentement testée dans un essai clinique subventionné par les IRSC. L’année dernière, nous avons piloté l’application avec une dizaine de participantes. Les résultats ont été très positifs : forte satisfaction générale, réduction des symptômes et amélioration de la qualité de vie ! Cette fois-ci, nous avons ajouté un 𝗼𝗯𝗷𝗲𝘁 𝗰𝗼𝗻𝗻𝗲𝗰𝘁é inséré dans la cavité vaginale qui fournit une 𝗿é𝘁𝗿𝗼𝗮𝗰𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗶𝗻𝘀𝘁𝗮𝗻𝘁𝗮𝗻é𝗲 sur la qualité de la contraction du plancher pelvien. Cet outil mesure l’efficacité des exercices et aide à augmenter la motivation et la confiance des utilisatrices.
Ce que cela implique :
Si vous avez 55 ans ou plus, que vous présentez des fuites urinaires à l’effort (lors d’un éternuement, d’une toux ou d’une activité physique) au moins trois fois par semaine, vous pourriez être admissible à participer.
En participant, vous recevrez :
- Une évaluation du plancher pelvien avec une physiothérapeute en rééducation périnéale au Centre de recherche de l’IUGM
- Un programme de 3 mois d’exercices à domicile avec l’application Oups! et l’objet connecté
- Une réévaluation du plancher pelvien à la fin du programme avec une physiothérapeute en rééducation périnéale.
Pour toute question ou pour participer, contactez-nous au 514-340-3540, poste 4129 ou par courriel à labodumoulin@gmail.com.
Ensemble, aidons les femmes à retrouver leur autonomie et à améliorer leur qualité de vie.
Visualisation du fonctionnement de l’objet et de l’application