
Ce 27 octobre, à l’occasion de la Journée internationale de l’ergothérapie, le thème « Ergothérapie en action » met à l’honneur le rôle clé de ces professionnel·le·s qui, partout dans le monde, accompagnent les personnes dans des activités porteuses de sens et soutiennent leur participation au quotidien. Pour célébrer cette journée, Patricia Belchior, ergothérapeute, directrice de laboratoire au CRIUGM et professeure agrégée à l’Université McGill, partage son parcours et son engagement auprès des aînés vivant avec des troubles cognitifs. Elle expose également sa vision d’une pratique qui transforme concrètement la vie des gens.
Peux-tu nous parler un peu de toi ?
Je suis brésilienne d’origine et ergothérapeute de formation, même si ce n’était pas du tout la voie que j’avais envisagée au départ. J’ai d’abord étudié le droit, que j’aimais, mais il me manquait le contact humain. Je me suis alors réorientée vers l’ergothérapie, interpellée par l’idée d’utiliser l’occupation pour promouvoir la santé. Avant de m’engager pleinement dans cette voie, j’ai fait du bénévolat auprès d’ergothérapeutes, et très vite, j’ai compris que c’était exactement ce que je voulais faire.
Au départ, je voulais travailler avec les enfants, ce qui m’attirait le plus, d’autant que le travail auprès des personnes âgées était peu abordé pendant nos études. Mais tout a changé lors d’une conférence au Brésil, où j’ai rencontré celui qui est ensuite devenu mon superviseur. Il m’a proposé de poursuivre mes études avec lui en Floride : j’y ai fait mon doctorat, puis mon postdoctorat. Pendant cette période, j’ai découvert d’autres facettes de l’ergothérapie, notamment tout ce qui touche au vieillissement : cognition, entraînement cognitif et technologies pour le maintien à domicile. Cette expérience a renforcé ma passion pour la profession… Vingt-cinq ans plus tard, je reste tout aussi motivée !
En quoi consiste ton rôle d’ergothérapeute ?
Le rôle des ergothérapeutes, c’est d’aider les personnes, quel que soit leur âge, à retrouver ou maintenir leur autonomie et à optimiser leur participation aux activités quotidiennes. Dans mon travail, j’ai à cœur d’offrir aux personnes la possibilité de continuer à faire des activités qui ont du sens pour elles, malgré les obstacles qu’elles rencontrent. Pour cela, j’interviens souvent en proposant des adaptations de l’environnement ou des activités, afin qu’elles puissent poursuivre ce qui est important pour elles. J’agis aussi dans une démarche de prévention ou de promotion de la santé.
Les ergothérapeutes peuvent exercer seuls ou en collaboration avec des physiothérapeutes, de psychologues, de travailleurs sociaux et d’autres professionnels de la santé. Pour moi, l’essence même de l’ergothérapie, c’est de dire à une personne : « Tu peux encore faire les choses qui comptent pour toi, malgré les difficultés. Il faut trouver comment les adapter à ta réalité. »
Évidemment, tout le monde n’a pas nécessairement besoin d’un ergothérapeute, mais notre rôle devient important dès qu’un événement empêche quelqu’un de faire ce qui lui tient à cœur.
Peux-tu nous parler d’un projet sur lequel tu travailles ?
Nous travaillons sur un programme communautaire d’ergothérapie destiné aux personnes âgées vivant avec un trouble neurocognitif à un stade précoce, une population pour laquelle les ressources et services spécifiques sont encore limités. Initialement développé avec succès au Royaume-Uni, nous cherchons maintenant à l’adapter au Québec. Il est actuellement en anglais, encore en phase de test avant traduction en français. Les participants font partie d’Alzheimer’s Group Inc (AGI), notre organisme partenaire.
L’objectif est d’offrir des ressources et des outils pratiques pour accompagner ces personnes et leurs partenaires tout au long de leur parcours. Avec le soutien d’un ergothérapeute, elles réfléchissent à l’importance de leurs activités et à leur impact sur leur santé, ce qui les aide à développer des compétences spécifiques. Cette approche contribue aussi à déstigmatiser la démence, en mettant l’accent sur ce qui reste possible plutôt que sur le déclin. Nous travaillons notamment sur l’adaptation de l’environnement, pour créer un cadre favorisant l’activité et l’autonomie.
Comment fonctionne ce programme ?
Nous formons des groupes adaptés aux participants afin d’ajuster le programme à leurs besoins. Celui-ci combine des rencontres de groupe et des suivis individuels, parfois même à domicile avec l’ergothérapeute. Les thèmes abordés varient selon les intérêts du groupe et peuvent inclure la santé, les technologies, le sommeil, le transport, le maintien des activités quotidiennes ou encore les loisirs. Nous faisons aussi certaines activités, comme des sorties, qui permettent de découvrir ensemble de nouveaux lieux.
Ce n’est pas un programme éducatif au sens classique : c’est vraiment du “faire ensemble”. L’échange entre participants est central car ils partagent leurs expériences et réalisent qu’ils ne sont pas seuls. Après un diagnostic, il y a souvent un sentiment d’isolement pour la personne et son partenaire, le cas échéant. L’objectif est de créer un espace sûr où chacun peut s’exprimer librement et rester actif dans la vie sociale.
Qu’est-ce qui t’a amenée à travailler avec les personnes âgées atteintes de troubles cognitifs ?
Je dis souvent que mes grands-parents sont ma source d’inspiration dans mon travail avec les personnes âgées. Nous étions très proches. Mon grand-père plus particulièrement était la personne la plus importante dans ma vie et avait la maladie d’Alzheimer. J’ai ainsi eu ce désir de mieux comprendre ce que l’ergothérapie pouvait apporter aux personnes avec des troubles neurocognitifs et comment les aider à maintenir une bonne qualité de vie.
Aujourd’hui, alors que je vieillis moi-même, je me rends compte que mon propre vieillissement m’inspire aussi. C’est fascinant, parce que, d’une certaine manière, la recherche que je fais transforme ma manière de vieillir, et mon vieillissement transforme aussi ma recherche.
Pourquoi as‑tu choisi de travailler avec une approche participative en recherche ?
Encore et toujours, c’est mon besoin de contact humain qui me guide ! En laboratoire, j’ai fini par ressentir un décalage avec ce qui se passe sur le terrain et j’ai ressenti le besoin de retrouver du sens à travers les échanges avec les gens. La recherche communautaire me permet justement de me rapprocher des personnes, d’écouter ce qu’elles vivent et de réfléchir à la façon dont nous pouvons faire évoluer les choses. Cette proximité me passionne et je suis heureuse de pouvoir évoluer dans cet écosystème. J’apprends aussi tous les jours, et c’est cela qui constitue le cœur de ma motivation. Je privilégie une approche plus connectée aux gens. Je me sens très chanceuse d’être au CRUGM, entourée d’autres chercheurs et chercheuses qui partagent cette vision centrée sur l’humain.
Quels sont les défis que tu rencontres en travaillant avec les communautés ?
L’implantation des programmes de recherche ! C’est l’un des plus grands défis de la recherche participative. Cette approche collaborative demande beaucoup de temps et produit des résultats très différents de ceux des recherches classiques. De nombreux programmes innovants existent déjà – il n’est pas toujours nécessaire d’en créer de nouveaux – mais leur mise en œuvre peut être longue. Travailler avec les communautés repose sur les relations humaines, la création de liens et d’environnements partagés. C’est un processus exigeant, mais c’est aussi ce qui en fait toute la richesse et la beauté !
Quel message veux-tu transmettre à travers tes travaux de recherche ?
Il est important d’adopter une approche globale et de renforcer les liens entre la recherche en laboratoire et la recherche communautaire. Il faut aussi porter un autre regard sur les troubles neurocognitifs : au-delà des difficultés, reconnaître qu’il est encore possible d’agir et de soutenir les capacités existantes grâce à un environnement adapté.
