Comment est-ce que la diversité sexuelle et de genre a-t-elle évolué ces dernières années dans le domaine de la recherche en neurosciences ? Quel est l’impact de cette évolution sur la communauté LGBTQIA+*? C’est ce qu’a voulu analyser Dr Jhon Alexander Moreno, directeur du laboratoire Innovation, Technologie et Cognition (INTECOG), chercheur clinicien associé au CRIUGM et professeur associé au Département de psychologie de la Faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal. Sous sa direction, une équipe de chercheurs spécialistes du sujet s’est penchée sur la rédaction d’un article présentant des éléments clés pour dresser un portrait historique des fondements neuroscientifiques de la diversité sexuelle et de genre. Dr Alexander Moreno et son équipe de recherche composée du Dr Riccardo Manca (Italie), du Dr Lucas Albrechet-Souza (États-Unis), du professeur Juan A. Nel (Afrique du Sud), du Dr Robert Paul-Juster (Canada) et deux étudiant.e.s* ont ainsi effectué une recherche bibliographique sur un siècle de publications scientifiques.
Au cours de l’histoire des neurosciences, plusieurs théories et perceptions variées de la communauté LGBTQIA+ ainsi que différentes causes de l’homosexualité ont été avancées. Le climat sociopolitique des différentes époques et ses fluctuations ont affecté la compréhension de la diversité sexuelle et de genre, ce qui a eu un grand impact sur la nature des recherches effectuées. La recherche sur la diversité sexuelle et de genre dans le domaine des neurosciences a vu une grande croissance depuis ses débuts en 1917, année où la première publication sur le sujet a été identifiée. À cette période, l’homosexualité est considérée comme un trouble psychiatrique. Elle le restera jusqu’en 1973 où elle sera retirée du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) compte tenu de l’évolution des théories sociales et scientifiques sur l’orientation sexuelle. En effet, les études précédant l’année 1973 étaient centrées sur l’association entre la diversité sexuelle, la psychopathologie et les structures du cerveau. Cependant, jusqu’à la fin des années 1970, la majorité des chercheurs ont continué à se focaliser sur une explication psychopathologique de la diversité sexuelle et de genre pour en déterminer la cause, toujours influencés par leurs croyances, leurs préjugés et une perception négative de la société sur le sujet.
Entre les années 1970 et 1990, de nombreuses techniques sont ainsi utilisées dans les recherches pour trouver la cause de la diversité sexuelle et de genre. Au cours de ces années, des études neurochimiques se multiplient et s’intéressent par exemple au rôle des hormones dans l’homosexualité. L’électroencéphalographie et les techniques d’imagerie du cerveau se développent également et permettent d’explorer le fonctionnement général du cerveau. Les scientifiques cherchent alors à étudier les différences entre les régions du cerveau des membres de la diversité sexuelle et de genre, des personnes cisgenres* et des personnes hétérosexuelles. Dès lors, les différences anatomiques, hormonales ou encore neuropsychologiques relevées donnent naissance à diverses théories et hypothèses, notamment celle selon laquelle la diversité sexuelle et de genre serait uniquement d’origine biologique. Durant les années 1980, des théories plus intégratives commencent à apparaître, classant l’orientation sexuelle comme un phénomène plus complexe déterminé par des variables d’ordre génétique, hormonale ou encore sociale par exemple.
C’est à partir des années 1990 que les neurosciences connaissent un pic de publications scientifiques sur la question de la diversité sexuelle et de genre. Les neurosciences se positionnent alors comme un domaine distinct de la psychiatrie permettant une analyse des données moins pathologisante de la diversité sexuelle. Les études présentant un fondement biologique comme cause unique de l’homosexualité sont contestées. De nouveaux intérêts de recherche se développent, plus orientés sur les aspects sociaux et vers les besoins de santé et de bien-être des personnes LGBTQIA+. C’est le cas par exemple des approches de neuroréadaptation qui se focalisent sur les besoins des personnes issues de la diversité sexuelle et de genre ayant subi des lésions cérébrales ou vivant avec des maladies d’origine neurologique. Durant cette période, l’étude spécifique des divergences au niveau du cerveau des personnes de la communauté LGBTQIA+ n’a pas cessé et continue encore aujourd’hui.
Dans les années 2 000, la communauté scientifique reconnaît que les interprétations avec une cause unique ne permettent pas d’expliquer efficacement la complexité de la diversité sexuelle et de genre. Elle appelle ainsi à une intégration multidisciplinaire des résultats de recherche pour parvenir à une vision plus globale sur la question. Un changement de perspective s’opère dans la recherche qui s’intéresse à documenter par exemple les impacts négatifs de la discrimination sur la santé des personnes issues de la communauté LGBTQIA+ et sur les disparités d’accès à ses soins de santé. En 2018, les troubles de l’identité de genre sont retirés de la Classification internationale des maladies (CIM).
Dans certains pays, la perception de la diversité sexuelle et de genre comme une pathologie n’a pas encore changé. Cette vision entraîne de nombreuses conséquences négatives sur le monde de la recherche et sur les vies des personnes issues de la communauté LGBTQIA+. Il en va de même dans les sociétés où l’image de la diversité sexuelle et de genre est perçue de manière positive, mais se heurte encore à une vision hétéronormative et fermée persistante dans certains milieux. De plus, l’équipe de recherche constate une rareté des études sur les personnes lesbiennes, bisexuelles et intersexes dans le domaine des neurosciences. Comme la discrimination et les préjugés continuent, les approches affirmatives et l’intersectionnalité restent donc nécessaires dans le processus de recherche sachant que les personnes LGBTQIA+ font encore face aujourd’hui à des inégalités dans le domaine de la santé. Les auteurs suggèrent pour les études à venir de se concentrer sur l’impact potentiel de la stigmatisation subie par les personnes LGBTQIA+ sur leurs cerveaux, plutôt que de chercher à trouver les origines de la diversité sexuelle et de genre. Travailler sur cet aspect dans le milieu de la recherche permettrait de démontrer l’importance de l’existence d’espaces sécuritaires et ouverts aux personnes de toutes les identités.
*Étudiant·e·s
Zindi Venter
Université d’Afrique du Sud
Ioannis Spantidakis
Scientific College of Greece
Prendre connaissance de l’article :
A brief historic overview of sexual and gender diversity in neuroscience: past, present, and future
Frontiers in Human Neuroscience