Cet article a été réalisé en collaboration avec la Mission universitaire sur la gériatrie et le vieillissement dans le cadre de la publication de son dossier thématique intitulé vieillir chez soi.
Neuropsychologue clinicien, Dr Alexander Moreno est directeur du laboratoire Innovation, Technologie et Cognition (INTECOG), chercheur au CRIUGM et professeur associé au Département de psychologie de la Faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal. Dans cette discussion, il aborde les éléments à prendre en compte pour vieillir chez soi, notamment lorsque les personnes âgées présentent des troubles neurocognitifs, ainsi que l’utilisation de compagnons robotiques comme outils de lutte contre l’isolement social.
Pourquoi le maintien à domicile est-il de plus en plus favorisé ?
Le désir de vieillir à domicile est un souhait quasi universel chez les personnes âgées. Il s’est d’ailleurs amplifié à la suite de la pandémie de la COVID-19. Les personnes âgées ont peur de se retrouver dans une situation d’isolement ou d’être abandonnées dans un environnement qui ne leur est pas familier. Elles souhaitent maintenir une certaine qualité de vie dans un environnement connu, auquel elles sont attachées et où elles ont construit des souvenirs. Leur logement est un point de repère et représente ainsi une certaine constante dans leur vie. Continuer à vivre dans leur maison, c’est non seulement renforcer leur sentiment de sécurité, mais c’est aussi la possibilité de maintenir leurs routines et leurs activités quotidiennes. Le sentiment de préserver leur indépendance et de maintenir un certain contrôle sur leur vie reste essentiel pour les personnes âgées. Au-delà de ça, cela leur permet de garder des relations sociales avec leur famille et leurs proches, ce qui prévient l’isolement, les maintient en interaction et contribue à une vie plus riche. À l’inverse, déménager dans un établissement spécialisé est perçu comme une perte d’indépendance mais aussi d’identité, ce qui peut engendrer beaucoup d’anxiété. Les personnes âgées doivent alors faire le deuil de la vie telle qu’elles l’ont toujours connue en plus de voir leurs habitudes changer et d’être confrontées à de nombreuses incertitudes.
Quels sont les enjeux du maintien à domicile ?
Le cœur de la question du maintien à domicile, c’est l’équilibre entre l’autonomie d’une personne âgée et sa sécurité. Les deux sont indispensables. Lorsqu’une personne ne présente pas de problèmes de santé particuliers ou qu’elle arrive à gérer de manière adéquate ses problèmes de santé, elle peut bien évidemment vieillir chez elle de façon autonome. Dans le cas contraire, si l’état de santé entraîne une perte d’autonomie irréversible, il faut alors trouver une solution qui aide à pallier cette situation. En effet, si la personne présente une incapacité physique, cognitive ou un problème de santé mentale, son domicile peut devenir précaire, voire même dangereux pour sa vie, dépendamment des situations. Prenons l’exemple de personnes atteintes de maladies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer ou d’autres troubles neurocognitifs. Elles développent souvent des pertes de mémoire importantes qui peuvent avoir un impact négatif sur leur quotidien, car elles peuvent ne plus se souvenir de leurs rendez-vous ou des activités qu’elles ont à réaliser. Elles peuvent même parfois ne pas être conscientes d’avoir développé ces troubles cognitifs. Dans ce dernier cas, c’est l’entourage qui remarque les changements et qui doit donc prendre les mesures adéquates. Cette réalité entraîne deux possibilités. Premièrement, avoir une aide régulière à domicile pour aider leur proche ou prévoir une relocalisation dans une institution où les soins nécessaires seront prodigués. Par ailleurs, il est aussi possible d’intégrer un outil technologique dans le quotidien pour qu’il serve d’assistance, qu’il assure une présence ou encore une surveillance. J’ai d’ailleurs récemment lancé avec une équipe de recherche internationale un numéro monographique de neuf articles disponible sous forme de livre électronique qui porte sur l’utilisation de la gérontechnologie comme soutien au vieillissement à domicile avec les meilleurs standards. Le maintien à domicile doit être étudié au cas par cas. C’est toujours une situation avec beaucoup de nuances. Seuls des professionnels de la santé en collaboration avec la personne âgée et les membres de son entourage peuvent vraiment statuer après une évaluation approfondie sur la possibilité ou non qu’une personne âgée reste à son domicile.
Que faut-il prendre en compte pour les personnes avec des troubles cognitifs ou des problèmes de santé mentale si elles désirent rester dans leur logement ?
La possibilité pour ces personnes de rester dans leur domicile va dépendre du type de problème de santé mentale et du type de problème cognitif qu’elles rencontrent. Lorsqu’on évoque les troubles cognitifs, il faut garder en tête qu’ils peuvent être évolutifs. Rester chez soi pour une personne âgée dans une phase légère ou modérée des troubles neurocognitifs n’est pas la même chose que de rester chez soi en ayant atteint la phase sévère. Dans cette dernière, la personne peut perdre beaucoup de ses fonctions cognitives et devra par exemple être nourrie ou lavée ou bien elle ne sera plus en mesure de comprendre ce qu’elle a à faire et va finir par se mettre en danger. Dans ces cas plus complexes où il y a beaucoup d’incapacités, les études montrent que des soins institutionnels devraient être offerts avant que la sécurité de la personne soit compromise. Cela assure à la fois la sécurité des personnes atteintes de troubles neurocognitifs, des personnes proches aidantes et assure également des soins adaptés au stade avancé de la maladie.
D’un autre côté, on observe des personnes qui ont des troubles neurocognitifs mais avec une perception limitée de leurs problèmes cognitifs et qui n’ont pas de problèmes psychologiques ou comportementaux. On les appelle les « démences heureuses » car elles ne se rendent pas compte de leurs déficits, ce qui les protège de souffrir de stress ou d’anxiété dans leur quotidien. Elles peuvent encore participer à certaines activités de leurs routines et se laissent facilement guider. En étant accompagnées, elles peuvent donc bien vieillir à leur domicile. C’est aussi le cas des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer à un stade léger. Même si elles commencent à perdre leurs souvenirs les plus récents, elles peuvent toujours se repérer facilement dans un logement qu’elles ont occupé depuis plus de 20 ans par exemple. Elles ont leurs habitudes et se sentent encore utiles dans cet environnement connu, ce qui ne serait pas le cas si elles étaient placées dans un établissement de soins où tout serait à réapprendre. En résumé, le maintien à domicile dans ces cas va dépendre de l’évolution de la maladie, des troubles associés et des ressources dont la personne malade a à sa disposition.
Pouvez-vous nous parler d’un de vos projets de recherche qui porte sur cette problématique de maintien à domicile ?
En tant que chercheur principal, j’ai facilité une collaboration internationale avec le laboratoire de robotique de Bristol, au Royaume-Uni (BRL) et j’ai obtenu une subvention de 250 000$ du programme Horizons de la découverte du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) pour un de mes projets intitulé « Utilisation de la robotique sociale et de la réalité virtuelle pour soutenir les personnes âgées ». Ce projet d’une durée de cinq ans permettra la création d’un robot social pour le soutien à domicile des aînées et de leurs proches. Les robots sont des technologies permettant d’effectuer des tâches automatisées avec rapidité et précision. Dans le contexte de l’intelligence artificielle, la robotique sociale permet de créer des robots qui sont en mesure d’interagir socialement et d’ajuster leurs comportements en fonction des attitudes et des émotions humaines. Le champ de l’interaction humain-machine est un domaine interdisciplinaire qui est en plein essor. La psychologie de la santé, la neuropsychologie et la psychologie dans une perspective plus élargie jouent un rôle fondamental dans cet écosystème.
La robotique sociale a déjà permis de créer les premiers robots pour l’accompagnement des personnes âgées dans un contexte institutionnel. Nous sommes convaincus qu’un développement plus poussé de la robotique sociale aurait été extrêmement utile dans le contexte de la crise sanitaire de la COVID-19. Maintenant en post-pandémie, nous avons le temps de réfléchir et de nous préparer pour l’arrivée des défis majeurs de santé publique.
Quelle sera exactement la finalité de ce robot social pour les personnes âgées ?
Le robot que nous souhaitons construire vise à stimuler les personnes d’un point de vue social en agissant comme une compagnie. Les personnes âgées pourront ainsi interagir avec lui, en l’observant en le touchant et en lui répondant. Cette technologie pourrait notamment aider à l’identification précoce des personnes à risque de problèmes de santé mentale, à la réduction du fardeau des personnes proches aidantes et au soutien des soins prodigués par les personnes intervenantes. Il ne s’agira donc pas d’un robot d’assistance physique ou de ménage, mais bien d’un robot pour aider à briser l’isolement et à répondre aux besoins de communication des personnes aînées tout au long du spectre du vieillissement.
De quelle manière abordez-vous sa prochaine construction ?
Il est très important pour nous que ce robot réponde aux priorités des personnes âgées représentatives de la diversité québécoise, à leurs besoins, leur identité, leurs valeurs et leur vision. L’étude va ainsi être réalisée en co-construction avec des aînés qui habitent au Québec, en tenant compte de la diversité culturelle, afin de répondre à la multiplicité des besoins qu’elles ont dans leur vie quotidienne. Elles vont pouvoir se prononcer sur la grandeur, la couleur, ou encore la forme du futur robot. C’est important que cela vienne de la population et pas de nous. Cependant, tous les souhaits évoqués ne pourront pas être pris en compte du point de vue de l’ingénierie. Il faudra donc les guider pour qu’elles puissent prioriser certains aspects par rapport à d’autres. Actuellement, nous sommes en train de réaliser une revue systématique de la littérature afin de recenser ce qui a été fait dans différents pays pour ce genre d’étude. On observe que les facteurs culturels influent sur la manière dont est construit ce type de robot social et sur la prévision de son fonctionnement pour l’aide à domicile. Les critères pris en compte pour la fabrication ne sont donc pas les mêmes d’un pays à l’autre. Des exemples tirés de la recherche nous apprennent qu’en Amérique du Nord par exemple, les aînés veulent que le robot soit pratico-pratique tandis qu’en Corée du Sud, leur priorité est que le robot soit gentil. Les robots sociaux pourraient ainsi avoir chacun leur « personnalité » en fonction du pays pour correspondre au profil de chaque population.
Une fois que le prototype de notre robot sera prêt, nous lancerons un projet pilote afin de le tester auprès d’un groupe diversifié d’aînés. Ce groupe sera composé de personnes sans troubles neurocognitifs et de personnes avec des troubles neurocognitifs ainsi que leurs proches aidants qu’ils soient professionnels ou naturels. Nous voulons également prendre en compte l‘environnement des personnes âgées car elles ne sont généralement pas seules, sauf bien sûr dans certains cas extrêmes où il n’est pas possible d’identifier une personne dans l’entourage de la personne âgée.
Certaines personnes s’inquiètent de voir les robots remplacer les professionnel·le·s de santé, est-ce une peur légitime ?
Il faut retenir que l’utilisation de la robotique pour le soutien à domicile est une solution parmi d’autres. Faisons un parallèle avec la pharmacologie par exemple. Pour un même traitement, les effets secondaires pourraient être différents en fonction des personnes qui le prennent. Certaines personnes répondront mieux à un traitement spécifique. Il en est de même pour la gérontechnologie, car toutes les personnes n’y seront pas forcément réceptives ou auront différentes réactions. Cependant, c’est un formidable atout pour aider à alléger la charge des soins engendrée par la pénurie de main-d’œuvre actuelle dans le système de santé. La réalité est que les personnes avec des besoins en soins vont continuer à augmenter, alors que le nombre de soignants n’augmentera pas à la même vitesse. Les solutions technologiques ne viennent donc pas déshumaniser les soins habituellement donnés et ne visent pas à les remplacer. Elles pourront cependant agir comme un support pour les personnes professionnelles de la santé ainsi que pour les personnes proches aidantes.