Ce 21 octobre, 3e lundi du mois est soulignée la journée mondiale contre la douleur. Problème de santé publique majeur, la douleur chronique touche près de 8 millions de personnes au Canada ! Pierre Rainville, directeur du laboratoire de neuro-psycho-physiologie de la douleur (LaNeP3) au CRIUGM et professeur à l’Université de Montréal nous aide à appréhender la question de la douleur en se penchant sur son fonctionnement qui est bien plus complexe qu’il n’y paraît.
Quelle est l’origine de la douleur ?
Toutes les douleurs, qu’elles soient traumatiques, inflammatoires ou encore arthritiques sont ressenties dans le cerveau, il est le siège de la douleur. Lors d’un évènement traumatique, des signaux sont émis à partir de la zone blessée grâce à des récepteurs de la douleur. Ils vont ensuite transiter de la moelle épinière jusqu’au cerveau. C’est à ce moment-là que le signal est identifié et perçu comme douloureux. On parle de douleur aiguë lorsque la douleur ressentie l’est sur une courte durée tandis qu’on parle de douleur chronique lorsqu’une douleur persiste ou est récurrente depuis plus de 3 mois malgré un traitement.
C’est important de noter que l’expérience vécue d’un épisode douloureux est subjective et toujours dépendante de l’activité du cerveau. Ainsi, deux personnes ne sentiront pas la même intensité de douleur et ne souffriront pas de la même manière pour une blessure semblable. En réalité, l’expérience sur le plan émotionnel de la douleur est très complexe. Au-delà des facteurs biologiques (gènes, immunité) qui entrent en jeu, elle est également influencée par une multitude de facteurs psychologiques et sociaux. Ces facteurs-là entrainent des perceptions, des émotions, de l’affect ou des attentes qui font intervenir des mécanismes au niveau du cerveau qui agissent ensuite sur le traitement du signal douloureux. On parle dans ce cadre de modèle biopsychosocial qui d’ailleurs m’intéresse dans mes recherches. Cette vision de la douleur a fait ses preuves dans de nombreuses études qui ont démontré qu’il y a une valeur ajoutée à combiner l’ensemble de ces facteurs pour avoir une meilleure capacité de prédiction de la douleur.
Comment passe-t-on d’une douleur aiguë à une douleur chronique ?
De nombreuses recherches montrent que dans le système nerveux central, soit la moelle épinière et le cerveau, il va s’opérer des changements qui peuvent devenir persistants. À la suite d’une lésion, il y a souvent une restructuration ou une modification des connections entre les neurones. C’est ce qu’on appelle la neuroplasticité. Cependant, ces changements au niveau cellulaire peuvent entrainer des effets négatifs, tels que l’apparition d’une douleur fantôme suite à une amputation ou la persistance d’une douleur aiguë, même si la blessure en périphérie est guérie. On parle alors de plasticité maladaptive du cerveau puisqu’elle engendre des problèmes. Ces changements pourraient donc expliquer à moyen et long terme la chronicisation d’une douleur. D’un autre côté, il est aussi démontré que la douleur chronique est un facteur de risque de modification du cerveau. En effet, des études montrent qu’elle est associée à un amincissement du cortex cérébral. La bonne nouvelle, c’est que cette modification du cerveau serait réversible si la personne reçoit un traitement approprié qui soulage efficacement de la douleur. Cet impact est bien la démonstration de l’existence d’un mécanisme au niveau du cerveau qui est impliqué ou affecté par la douleur chronique et qui, peut-être, contribue à la maintenir. En d’autres termes, la douleur chronique serait une maladie du système nerveux centrale.
Vous avez évoqué le terme de douleur fantôme. Pouvez-vous nous en dire plus à ce propos ?
Certaines personnes dont la jambe ou le bras a été amputé par exemple continuent de ressentir de la douleur comme si le membre manquant était toujours présent. Il est donc très clair dans ce cas que l’origine de la sensation de la main ou de la jambe absente se situe dans le cerveau car il n’y a plus de raison périphérique d’avoir de la douleur. C’est le système nerveux central qui génère la douleur. En effet, durant la guérison de la lésion il y a eu une réorganisation des structures neuronales qui ont conduit à un maintien de cette expérience douloureuse. On observe donc bien dans ce phénomène la plasticité du cerveau en action. Ce genre de douleur est très complexe à traiter et est souvent résistante à la médication.
En quoi consistent vos travaux de recherche ?
Je m’intéresse à la neuro-psychophysiologie de la douleur c’est-à-dire à l’expression biologique des facteurs psychologiques dans la douleur. Comment est-ce que les émotions, les attentes, les distractions ou encore la peur de la douleur affectent-elles les réseaux neuronaux de la douleur ? Comment le cerveau intègre-t-il les interactions entre les facteurs psychologiques et la perception de la douleur ? C’est que j’essaie de comprendre dans mon laboratoire. Dans ce cadre, je réalise des études expérimentales centrées sur la modulation de la douleur par ces facteurs psychologiques. Ainsi, chacune de ces variables est étudiée de manière spécifique en la faisant fluctuer afin d’observer son influence sur la réponse du cerveau à une stimulation douloureuse. C’est ainsi que l’on peut démontrer comment ces facteurs psychologiques affectent la réponse du cerveau à la douleur. Ce genre de recherches fondamentales sur les facteurs psychologiques et la douleur amène à développer des études cliniques qui elles évaluent des interventions diverses comme par exemple les effets de la musique, de la méditation ou encore de l’hypnose médicale sur la douleur.
Comment agissent ces facteurs psychosociaux ?
Il faut savoir que les facteurs psychosociaux sont souvent associés aux maladie de douleur chronique mais qu’ils sont aussi des facteurs de risque de développer ce genre de douleur. Pour illustration, nos études montrent par exemple que lorsqu’une stimulation douloureuse est appliquée et que l’on cause chez la personne étudiée de l’anxiété ou des émotions négatives, la réponse à la stimulation douloureuse est amplifiée. Les stimuli douloureux sont donc perçus différemment en fonction de notre humeur. Nous avons également démontré que les réponses reflexes à la douleur comme le fait de retirer sa jambe par exemple suite à une douleur ressentie peuvent être modulées par les facteurs psychologiques. C’est donc une démonstration physiologique convaincante de la réalité du phénomène psychologique et de son influence sur la réponse physiologique à la douleur.
Prenons un autre exemple lié à la peur de la douleur. Imaginons qu’une personne a une douleur musculo-squelettique avec de l’inflammation. Logiquement, elle voudra protéger la zone douloureuse en faisant moins de mouvement ou d’activité physique afin d’éviter de se blesser davantage. À moyen terme, cela peut être bénéfique, mais c’est justement ce comportement d’évitement qui va avoir un effet aggravant sur la douleur car la personne n’est plus active. Elle se retrouve alors dans un cercle vicieux où la peur de la douleur se change en peur du mouvement qui se transforme en immobilisation et entraîne une amplification de la douleur. De la même façon, une personne qui souffre de maux de dos et qui travaille dans un environnement hostile sera susceptible de développer une douleur chronique car elle appréhendera son retour en poste.
Pouvez-vous nous citer une application de vos recherches ?
Actuellement, je travaille sur un projet récent avec Oury Monchi, directeur scientifique du CRIUGM, qui porte sur la douleur dans la maladie de Parkinson. C’est une recherche assez novatrice pour laquelle nous espérons qu’il y aura une évolution vers des options thérapeutiques. Dans nos travaux, nous étudions les différences entre les patients parkinsoniens avec douleur et ceux avec peu ou pas de douleur pour essayer de comprendre les facteurs de risque de la douleur dans la maladie. Nos résultats préliminaires montrent déjà que comme pour d’autres types de douleurs chroniques, les facteurs psychologiques semblent jouer un rôle très important dans la maladie. D’ailleurs, lorsqu’on analyse le profil psychologique des patients, on peut déjà observer en fonction de la personne des facteurs de risques qui témoignent de sa propension à développer une douleur chronique. Ces facteurs de risques psychologiques, dont certains sont modifiables, pourraient expliquer pourquoi certains patients avec la maladie de Parkinson sont plus à risque que d’autres de développer de la douleur chronique.
Cette étude est importante car la prévalence de la douleur dans la maladie de Parkinson représente presque le double par rapport à la population non malade ! Chez les patients parkinsoniens, on se concentre souvent sur les problèmes moteurs tels que les tremblements, la raideur ou encore la lenteur des mouvements. Or, la douleur est souvent plus invalidante que les symptômes moteurs qui sont relativement bien contrôlés par les médicaments, au moins en début de maladie. À l’inverse, la douleur est parfois très difficile à contrôler et n’est pas forcément reconnue à sa juste valeur comme un facteur de souffrance important chez les les personnes atteintes par la maladie. La composante émotionnelle est une clef de la compréhension du phénomène de la douleur.
Peut-on guérir des douleurs chroniques ?
Malheureusement pour beaucoup de conditions chroniques il n’y a pas d’intervention médicale efficace connue. On ne guérit donc pas nécessairement de la douleur chronique, mais des outils et des services sont développés pour aider à mieux la supporter au quotidien. On peut notamment trouver de l’aide dans les cliniques de gestion de la douleur par exemple. Il est vital d’aller consulter des spécialistes de la douleur pour qu’ils puissent poser le juste diagnostic. Ils sauront réaliser une évaluation médicale de pointe afin d’identifier, au besoin, les interventions médicales adéquates. En fonction des cas et des résultats de l’évaluation de l’état de santé, le traitement de la douleur peut faire intervenir un panel de professionnels de la santé très diversifié. Certaines personnes auront ainsi besoin d’aller consulter un rhumatologue, d’autres un psychiatre ou encore un orthopédiste selon les maux à soigner et les troubles identifiés. La médication peut être une solution proposée selon le type de douleur rencontré mais elle n’est pas toujours efficace.
Je tiens à insister sur le fait que si dans une situation un spécialiste de la douleur recommande à un patient de voir un psychologue, ce n’est pas qu’il nie la réalité de la douleur. C’est seulement que son diagnostic médical aura suggéré que des facteurs psychologiques jouent un rôle important dans le maintien de la douleur et qu’une intervention psychologique pourrait aider à mieux la gérer.