Orthophoniste, Sophie Chesneau est également directrice de laboratoire au CRIUGM, professeure et directrice du département d’orthophonie à l’Université du Québec à trois rivières. À l’occasion de la semaine des proches-aidants qui se tient du 3 au 9 novembre 2024, cette spécialiste de la communication, nous présente un de ses projets intitulé AID-COM. Il a pour but d’aider à améliorer la communication d’un public qu’elle a particulièrement à cœur, les personnes vivant avec des déficits cognitifs et leurs proches-aidants.
Sur quoi portent vos recherches ?
Les personnes âgées et la communication sont le cœur de ma recherche. Je m’intéresse aussi bien aux personnes âgées qui ont un vieillissement normal qu’à celles qui présentent des troubles neurodégénératifs, comme la maladie d’Alzheimer, ou encore qui ont connu un accident vasculaire cérébral par exemple. J’étudie plus particulièrement les changements cognitifs et les troubles de communication ou de langage associés à ces différentes situations.
Quelle est la finalité du programme AID-COM ?
Le programme AID-COM a pour objectif d’améliorer la communication entre une personne qui présente un trouble neurocognitif majeur et son proche-aidant que ce soit un voisin, une amie, ou encore un conjoint. Toute communication est bidirectionnelle.Il me semblait donc important de créer un programme adapté pour la dyade aidant-aidé. Lorsque je parle de communication je fais référence à la fois à la compréhension orale et écrite et à l’expression orale et écrite. J’ai premièrement créé un programme d’intervention avec des exercices pour les patients qui présentent des troubles cognitifs légers et donc qui sont encore capables d’assimiler des informations. Il consiste en dix séances intensives, à raison de trois séances par semaine, le tout sur trois semaines et demi. Elles sont dirigées par Michelle Mekary, orthophoniste à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal avec qui j’ai collaboré sur ce projet. D’autre part, j’ai créé une formation pour les proches-aidants pour qu’ils puissent mieux comprendre les difficultés rencontrées par la personne qu’ils aident et mettent en place des stratégies pour favoriser une communication fluide au quotidien.
Que font les patients lors des séances ?
Nous travaillons sur trois éléments. Dans un premier temps, l’utilisation d’un carnet mémoire. Prenons le cas de patients atteints de la maladie d’Alzheimer par exemple qui peuvent oublier les activités qu’ils ont fait dans une journée. Le carnet va leur permettre de noter ce qu’ils ont fait comme activités et si un de leurs proches les questionne, ils pourront s’y référer et parler des activités réalisées. Les deux interlocuteurs pourront ainsi discuter ensemble et la communication ne sera pas écourtée. La seconde chose que nous travaillons, avec thérapies spécifiques d’orthophonie, est ce qu’on appelle le manque du mot. C’est un trouble du langage où une personne connait le mot qu’elle veut utiliser mais est temporairement incapable de le retrouver. Comme le dit l’expression, c’est avoir le mot sur le bout de la langue ! Cela nous arrive à toutes et à tous, lorsqu’on est fatigués par exemple et puis ça passe. Cependant, pour les patients le manque du mot est une réalité quotidienne qui peut s’avérer extrêmement frustrante. Ils peuvent finir par s’énerver ou ne plus parler et se replier sur eux-mêmes. On leur donne alors des stratégies pour mieux trouver les mots ou pour palier à la situation par d’autres moyens. Par exemple, s’ils ne retrouvent pas le mot d’un objet, ils peuvent le décrire ou donner sa fonction. Le but est de se faire comprendre par le proche-aidant et que la communication reste continue. Enfin, le troisième point de travail est le discours, aussi bien la compréhension que l’expression. Les patients sont souvent mêlés dans leur manière d’organiser leurs discours et nous les aidons au cours des séances à mieux le structurer.
Et du côté des personnes proches-aidantes ?
Il s’agit d’une formation de trois fois deux heures qui s’adresse à des proches aidants de personnes avec des troubles neurocognitifs au stade léger. Nous abordons les mêmes thématiques qu’avec les patients, à savoir l’utilisation d’un carnet mémoire, le manque du mot et les troubles du discours. On explique également aux proches-aidants que le plus important dans une communication c’est de donner toute son attention au moment de l’interaction. Regarder la personne dans les yeux, parler lentement et calmement, emmener un sujet à la fois c’est essentiel ! Ils peuvent aussi recourir au toucher pour capter encore plus l’attention de leur proche. Il ne faut pas se laisser distraire par la télévision ou l’environnement et privilégier un endroit calme loin du bruit.
Durant les séances, des questions théoriques sont traitées. Qu’est-ce la mémoire ? Qu’est-ce qu’un trouble de la mémoire ? Comment se-manifeste-t-il ? L’objectif est qu’ils comprennent mieux les mécanismes en jeu derrière le phénomène d’oubli qui s’avère parfois très irritant pour l’aidant mais qui est hors du contrôle de la personne aidée. Pour illustrer le problème, je parle d’une baguette maléfique qui vient jeter un sort à la mémoire du patient qui n’est plus capable d’enregistrer une nouvelle information. Cette idée vient de Cameron Camp, un psychologue de renom qui m’a d’ailleurs inspiré pour une autre formation appelée AID-COM Montessori. Nous proposons aux proches-aidants différentes stratégies pour la mémoire toujours dans le but de maintenir la communication entre les deux parties. Prenons le cas d’un proche qui pose la même question inlassablement. On suggère à l’aidant d’écrire la réponse sur un papier et d’encourager son proche à aller la voir par lui-même. L’aidant n’a plus la pression de la question répétitive et l’aidé est rassuré de pouvoir consulter la réponse chaque fois qu’il en a besoin.
Quelle est la différence entre AID-COM et AID-COM Montessori ?
AID-COM Montessori est une formation qui sera prochainement disponible, et qui s’adresse à des proches-aidants dont le proche cette fois-ci présente un trouble neurocognitif du stade léger à modéré. C’est important que chaque stade ait sa formation car ainsi les aidants ont les informations adéquates en fonction de leur situation. Elle inclut toutes les stratégies de communication de la formation AID-COM et les principes de la méthode Montessori créé en 1907 par la médecin italienne Maria Montessori. Cette pédagogie part du principe que l’on peut utiliser l’environnement d’un enfant et l’adapter à celui-ci pour favoriser son apprentissage. Elle a ensuite été adaptée en 2010 aux personnes âgées et aux personnes avec des troubles cognitifs par le psychologue Cameron Camp dont j’ai suivi la formation en 2019. Cela m’a permis de mieux comprendre comment je pouvais intégrer la pédagogie Montessori à mon programme. AID-COM Montessori apprend ainsi aux aidants que l’environnement de leurs proches peut être utilisé pour les aider dans la vie quotidienne.
Imaginons une personne avec un trouble cognitif majeur qui n’arrive plus à ranger les ustensiles à la bonne place, parce que sa mémoire se dégrade, lorsqu’elle vide le lave-vaisselle. La tendance chez ses proches sera de vouloir lui retirer cette tâche, or, il est important que cette personne continue à vivre le plus normalement possible. La solution est donc d’adapter l’environnement en plaçant des mots-étiquettes aux endroits respectifs des ustensiles pour aider le patient à les ranger correctement et continuer ses activités du quotidien. C’est important de savoir que les patients avec des troubles neurocognitifs ont des capacités préservées dont la lecture fait partie. C’est un automatisme, ils sont donc capables, pendant longtemps, de lire des phrases ou des mots et de les comprendre. Les défis ne sont donc pas les mêmes au fur et à mesure de la progression des troubles ou de la maladie. En effet, lorsque le stade évolue de léger à modéré, des troubles du comportement peuvent également apparaître. Ce changement n’est jamais anodin, et nous encourageons les proches-aidants à mener leur enquête pour en découvrir la cause. La personne peut avoir des problèmes physiques, une perte d’audition ou bien une infection qui n’a pas encore été décelée par exemple et ces situations peuvent être liées au trouble de comportement observé.
Quels conseils voudriez-vous donner aux personnes proches-aidantes ?
Je dirai qu’il ne faut pas qu’elles hésitent à prendre du repos quand elles en ressentent le besoin. Il ne faut pas attendre d’être à bout de forces. Être proche-aidant en fonction des situations peut être très difficile et épuisant, d’autant plus si la personne qui aide est elle-même âgée. Cela arrive que des proches-aidants tombent malades parce qu’ils mettent toute leur énergie à prendre soin de leur proche, sans compter leur travail et les défis de la vie. Ils ne prennent d’ailleurs pas forcement le temps de se soigner et là c’est un cercle vicieux qui commence et le proche malade risque de perdre son seul soutien. Il ne faut pas qu’elles hésitent à demander de l’aide et surtout qu’elles ne s’en sentent pas coupables !
Quelle est votre vision pour la pérennité du programme ?
Les résultats du programme sont vraiment encourageants car des changements chez les patients ont été constatés dès la cinquième séance. Pour l’instant, la formation s’adresse aux personnes âgées suivies au sein de la clinique cognition de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal. Je suis en train de réfléchir à une implantation plus large du programme pour qu’il ne reste pas seulement dans mes tiroirs recherche. Cela pourrait passer par la formation d’orthophonistes sur une plus grande échelle par exemple. Actuellement, il faut passer par moi pour toutes demandes en lien avec le programme.
J’aimerais aussi qu’AID-COM soit accessible de façon générale à l’hôpital. La formation pourrait ainsi être proposée aux familles dont un proche vient d’être diagnostiqué avec des troubles de cognition ou une maladie neurodégénérative. Elles se sentiraient moins seules et plus outillées devant leur nouvelle réalité. J’ai d’ailleurs récemment créé une formation à destination des intervenants à l’hôpital comme les infirmières ou les préposés et qui sera prochainement en cours de test. J’y propose les mêmes types d’informations que dans les autres formations mais cette fois-ci adaptées à leur réalité professionnelle. J’ai donc créé de nouvelles vidéos de mise en situation et de résolution pour les aider à mieux intégrer les stratégies proposées sur le terrain. J’ai deux versions de la formation, une synchrone et une asynchrone pour que ce soit plus adapté aux professionnels de la santé et leur permettre de s’autoformer sur une certaine période. Les périodes de discussions seront par contre toujours présentes.
Pour toutes questions sur le programme AID-COM joindre Sophie Chesneau : sophie.chesneau@uqtr.ca
En savoir plus sur Aid-COM
https://www.ooaq.qc.ca/espace-membres/nouvelles/coup-chapeau-projet-aid-com-troubles-neurocognitifs-incidence-communication/
Vous êtes proches-aidants ? Voici quelques ressources qui pourraient vous intéresser
**L’appui
Répertoire de ressources de l’appui
Joindre Info-aidant
1 855 852-7784
info-aidant@lappui.org
https://www.lappui.org/fr/nous-sommes/info-aidant/
**Société d’Alzheimer et bien plus.
Voir les informations en suivant le lien ci-dessous :
Informations – Gouvernement du Québec (ressources, services, etc.)
https://www.quebec.ca/famille-et-soutien-aux-personnes/personne-proche-aidante