Selon un récent rapport de la Société Alzheimer du Canada, le nombre de personnes vivant avec des troubles neurocognitifs pourrait augmenter de 145 % au Québec d’ici 2050. Dans cette interview, Sylvie Belleville, directrice de laboratoire au CRIUGM, professeure au département de psychologie de l’UdeM et experte en neurosciences du vieillissement défait certaines idées reçues qui entourent la maladie d’Alzheimer, la forme des troubles neurocognitifs la plus répandue dans la société.
Idée reçue no 1 : La maladie d’Alzheimer affecte seulement les personnes âgées
Certaines personnes jeunes entre 30 et 50 ans peuvent souffrir de la maladie d’Alzheimer. « Mais ce sont des cas rares. Le premier facteur de risque de développer la maladie d’Alzheimer est l’âge », affirme Sylvie Belleville. « Lorsqu’on observe le nombre de cas des personnes atteintes par la maladie et leur âge, on constate qu’il augmente de façon importante après 75 ans. Au-delà de 80 ans, on estime qu’environ 30% des personnes seront malades ce qui est un pourcentage assez conséquent. Il faut cependant retenir que la maladie d’Alzheimer ne fait pas partie du processus de vieillissement normal. Une étude récente estime que si on vit jusqu’à 55 ans, on a 42% de risque de développer un trouble neurocognitif majeur au cours de sa vie. Cependant, de nombreux aînés ne développeront pas la maladie ».
Idée reçue no 2 : La maladie d’Alzheimer est héréditaire
Le rapport Sondage de suivi sur la démence, publié par Santé Canada en juillet 2024 montre que 33 % des répondants âgés de moins de 75 ans pensent que la génétique joue un rôle déterminant dans le développement d’une démence. Mais ce n’est pas ce que dit la science. « Il n’est pas juste de dire que la maladie d’Alzheimer est héréditaire. On sait maintenant que plusieurs gènes augmentent le risque de développer la maladie. Le fait d’avoir plusieurs personnes atteintes dans une même famille augmente donc la probabilité d’être porteur ou porteuse de ces gènes. Mais la génétique n’est pas le premier facteur de risque de développer la maladie. La forme la plus courante de la maladie d’Alzheimer est non héréditaire et appelée « sporadique ». Elle représente la majorité des cas. Il existe bien une forme héréditaire de la maladie appelée « familiale » mais elle est extrêmement rare. Elle se développe de manière plus précoce et touche des personnes de 40 à 50 ans par exemple et peut même apparaître dans certains cas dans la trentaine. Elle représente cependant moins de 5% des cas » souligne Sylvie Belleville.
Idée reçue no 3 : Avoir des difficultés de mémoire implique forcément le développement d’un trouble neurocognitif
Certains changements cognitifs qui surviennent avec l’âge sont tout à fait normaux et font partie du vieillissement normal, tout comme le fait de perdre de la masse musculaire ou d’avoir des problèmes d’audition par exemple. Avoir des difficultés de mémoire pour une personne aînée ne veut donc pas dire qu’elle est en train de développer un troubleneurocognitif ou la maladie d’Alzheimer. « Il est important de rappeler que pour parler de troubles neurocognitifs majeurs, il ne faut pas juste qu’il y ait un problème de mémoire. Il faut que ce dernier ait un impact important au quotidien. Par exemple, la personne qui a des difficultés cognitives commence à avoir de la peine à gérer son budget ou à planifier ses activités et ses proches relèvent généralement que quelque chose a changé. Pour finir, il faut bien entendu qu’un diagnostic soit posé par un professionnel. Lorsqu’une personne âgée dit avoir des problèmes cognitifs, un neuropsychologue peut déterminer si ces difficultés sont de l’ordre de ce qui est attendu pour son âge et son éducation ou si elles sont plus importantes. Ensuite, c’est à l’équipe médicale ou aux cliniciens que revient la tâche difficile de déterminer l’origine de ces troubles car elle peut être physique ou psychologique. La personne peut en effet avoir des pertes de mémoire parce qu’elle fait de l’apnée du sommeil, qu’elle est stressée ou qu’elle vit un épisode de deuil. C’est grâce à une évaluation complète que l’équipe clinique sera capable de comprendre le type de problèmes cognitifs de la personne. Elle pourra alors déterminer s’il est susceptible d’être expliqué par une maladie neurodégénérative ou s’il provient d’une autre cause. Dans tous les cas, s’il y a une inquiétude ou que des proches remarquent certains changements, il faut toujours en parler à son médecin », développe Sylvie Belleville.
Idée reçue no 4 : On ne vit pas bien lorsqu’on est atteint·e de la maladie d’Alzheimer
Cette croyance est fausse et contribue à perpétuer une stigmatisation associée à la maladie d’Alzheimer ou à d’autres formes de troubles neurocognitifs qu’il faut combattre. « Il faut enlever cette image d’un individu mourant dès que le diagnostic est posé. Une personne atteinte par la maladie d’Alzheimer peut conserver une belle qualité de vie sur de nombreuses années. Pour cela, il faut que cette personne ne vive pas de préjugés dans son entourage et que ce dernier continue de la voir comme une personne à part entière. Dans mon contexte professionnel, je côtoie de nombreuses personnes avec la maladie qui ont une vie active, qui continuent à avoir des loisirs ou à faire des projets avec leur famille. Certaines personnes à un stade avancé de la maladie ont l’air heureuses, elles interagissent, elles sont sensibles à certaines odeurs ou aiment bien écouter de la musique par exemple. Leur bien-être peut être favorisé à tous les stades de la maladie, c’est important de le dire » assure la Pre Belleville. Une vidéo de La Société Alzheimer de Québec illustre bien ces propos au travers du témoignage de Mme Louise Hamel. Atteinte par la maladie, elle s’exprime ainsi : « Accompagnez-moi, ne me précédez pas […] n’anticipez pas qui je vais devenir ».
Idée reçue no 5 : On ne peut pas traiter ou retarder la maladie d’Alzheimer
Comme le mentionne la professeure, « la maladie d’Alzheimer est pour l’instant incurable. Il existe déjà des médicaments qui agissent sur les symptômes de la maladie, mais leur effet est de courte durée. Certains traitements bientôt disponibles s’attaqueraient directement à la maladie et pas seulement aux symptômes. Actuellement, plusieurs médicaments sont en cours de développement et de nouvelles approches seront développées au fur et à mesure qu’on comprendra mieux les causes de la maladie. Il y a donc de l’espoir pour les prochaines décennies ». Elle rappelle également qu’il est possible de retarder l’apparition de la maladie en agissant sur les facteurs de risque modifiables. « Le groupe d’experts de la commission de la revue Lancet a publié en juillet 2024 un rapport identifiant 14 facteurs de risque modifiables à différents stades de la vie qui aideraient à repousser l’apparition des symptômes de la maladie. On retrouve parmi eux le manque d’activité physique, une mauvaise alimentation, l’hypertension artérielle, une faible éducation ou stimulation cognitive, l’isolement social, ou encore des facteurs plus sociétaux comme la pollution atmosphérique. Certains de ces facteurs peuvent avoir une influence sur ce qu’on appelle la réserve cognitive qui varie d’un individu à l’autre. Cette réserve représente la capacité du cerveau à rester malléable et à s’adapter face aux effets délétères de la maladie. Elle se développerait lorsqu’on stimule notre cerveau, ce qui entraîne de meilleures connexions neuronales. Plus la réserve cognitive est importante, plus le cerveau est en mesure de faire face aux lésions cérébrales et de compenser leurs impacts sur la cognition ».
Études et projets de Sylvie Belleville sur la maladie d’Alzheimer
Aider son cerveau à prévenir l’apparition des symptômes de la maladie d’Alzheimer (UdeM nouvelles)
Une application québécoise pour prévenir la maladie d’Alzheimer (Radio Canada)
Démence: comment prévenir le déclin mental (UdeM nouvelles)
Alzheimer: une hyperactivation anormale du cerveau pourrait être un signe précoce de la maladie (UdeM nouvelles)
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Maladie d’Alzheimer : prévention, symptômes et traitement
Syndrome de Down et maladie d’Alzheimer, les deux faces d’une même pièce
L’insomnie augmente les risques d’avoir la maladie d’Alzheimer (Le Devoir)
Quels types d’oublis sont les plus liés à la maladie d’Alzheimer ? (The conversation)