
Selon les projections scientifiques, près d’un million de personnes vivront avec des troubles neurocognitifs au Canada d’ici 2030, la maladie d’Alzheimer en étant la cause la plus fréquente. Cette maladie neurodégénérative est un véritable défi de santé publique car elle progresse lentement et silencieusement, pendant plusieurs années, avant l’apparition des premiers symptômes. Alexa Pichet Binette, chercheuse en émergence au centre de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal (CRIUGM-CCSMTL) s’intéresse justement aux moyens de détecter la maladie avant sa manifestation clinique. Spécialiste des biomarqueurs — ces indices biologiques révélant l’état de santé d’un·e patient·e — elle nous explique leur rôle essentiel et leur impact dans cette entrevue.
Qu’est-ce qui t’a amené à t’intéresser à la maladie d’Alzheimer et quel a été ton parcours ?
Lorsque j’étais plus jeune, j’ai eu un emploi où j’ai côtoyé plusieurs personnes âgées et j’étais très admirative de les voir si actives et vives d’esprit. Cela m’a beaucoup inspirée, et je me suis demandé de quelle façon je pouvais contribuer à lutter contre les obstacles au vieillissement en bonne santé. Un peu plus tard dans mon parcours académique, la lutte contre la maladie d’Alzheimer m’est apparue comme une évidence, puisqu’elle représente l’une des maladies du cerveau les plus répandues et dévastatrices du vieillissement. J’ai consacré mon parcours en neurosciences à mieux comprendre le vieillissement et la maladie d’Alzheimer, en me focalisant sur la phase préclinique, c’est-à-dire l’étude des premiers changements dans le cerveau pouvant augmenter le risque de développer la maladie. Après mon doctorat à l’Université McGill et un postdoctorat en Suède, j’ai rejoint le CRIUGM il y a un peu moins d’un an, où je poursuis mes recherches à l’interface entre la science fondamentale et la clinique.
Que sont les biomarqueurs et pourquoi sont-ils importants dans la maladie d’Alzheimer ?
Les biomarqueurs sont des indicateurs biologiques mesurables dans le corps qui donnent des informations sur la santé d’une personne. Par exemple, le cholestérol est un biomarqueur associé au risque de maladies cardiovasculaires. Dans la maladie d’Alzheimer, deux biomarqueurs majeurs sont particulièrement étudiés : les protéines bêta-amyloïde et tau. Naturellement présentes dans le cerveau, elles s’y accumulent de manière anormale lorsque la maladie se développe, et ce avant l’apparition de symptômes de déclin cognitif. La bêta-amyloïde forme des plaques à l’extérieur des neurones, perturbant leur communication. Cette accumulation constitue un marqueur précoce de la maladie. La protéine tau, sous une forme modifiée appelée tau phosphorylée, s’accumule à l’intérieur des neurones et forme des aggrégats toxiques, révélant des lésions neuronales déjà installées.
Les biomarqueurs sont essentiels car ils permettent d’identifier les personnes à risque, de détecter la maladie d’Alzheimer avant l’apparition des symptômes, de distinguer cette maladie d’autres troubles cognitifs afin de poser un diagnostic plus fiable, et d’estimer l’évolution possible de la maladie chez chaque individu.
Quelles techniques permettent d’observer et de quantifier les biomarqueurs de la maladie d’Alzheimer?
Pour observer et mesurer les biomarqueurs de la maladie d’Alzheimer, plusieurs approches sont utilisées. L’imagerie cérébrale permet de visualiser les effets de la maladie : la tomographie par émission de positrons (TEP) révèle, grâce à un traceur radioactif, la présence de dépôts de bêta-amyloïde ou de Tau, tandis que l’imagerie par résonance magnétique (IRM) met en évidence des changements structurels, comme l’atrophie de certaines régions du cerveau. Pour mesurer directement ces protéines, on peut aussi recourir à l’analyse du liquide céphalorachidien (LCR) prélevé par ponction lombaire. Par contre, ces méthodes sont complexes et parfois contraignantes.
La recherche s’oriente aujourd’hui vers une alternative prometteuse : les biomarqueurs plasmatiques. Grâce à des techniques très sensibles, les protéines liées à la maladie d’Alzheimer peuvent désormais être détectées dans le sang. Ces biomarqueurs représentent une avancée majeure pour un dépistage plus simple, précoce et accessible. Durant mon postdoctorat à l’Université de Lund, j’ai eu la chance de collaborer avec l’une des équipes pionnières dans l’identification et la validation de ces biomarqueurs, l’équipe BioFINDER. Une expérience particulièrement enrichissante !
Les biomarqueurs plasmatiques pourraient-ils servir à prévoir l’évolution de la maladie d’Alzheimer ?
C’est une question que se pose toute la communauté scientifique — et que j’explore aussi dans mes propres travaux ! Nous disposons de nombreuses preuves issues d’études transversales sur l’importance des biomarqueurs, qui permettent d’identifier des associations entre niveaux de protéines et symptômes à un moment donné. Ces études ont montré le rôle de protéines comme la Tau phosphorylée dans le sang et leur lien avec des troubles cognitifs, notamment de la mémoire. Elles fournissent donc un instantané précieux de l’état de la maladie. Cependant, les études longitudinales restent essentielles pour comprendre l’évolution de la maladie et déterminer si les biomarqueurs peuvent réellement prédire cette évolution à long terme. Elles soulignent également l’importance d’obtenir un portrait biologique aussi complet que possible. C’est justement l’un des objectifs de la cohorte CIMAQ (Consortium pour l’Identification Précoce de la Maladie d’Alzheimer – Québec), à laquelle je participe en tant que membre du comité scientifique exécutif. Cette cohorte existe depuis dix ans et regroupe des données cliniques et biologiques collectées à différents stades de la maladie, offrant un outil précieux pour mieux comprendre les trajectoires individuelles selon les profils biologiques et cliniques.
Peux-tu nous parler d’un de tes projets ?
Je collabore actuellement avec les équipes cliniques de l’IUGM pour intégrer les biomarqueurs plasmatiques à la pratique clinique, dans le but d’améliorer la prise en charge des patients. Nous cherchons à associer l’analyse des biomarqueurs sanguins à des données d’imagerie cérébrale, notamment des IRM, afin de dresser un profil de neurodégénérescence propre à chaque personne. Pour illustrer : si un patient présente des troubles cognitifs et que l’on détecte une accumulation de bêta-amyloïde et de tau, le diagnostic s’oriente vers la maladie d’Alzheimer. En revanche, si ces biomarqueurs ne sont pas élevés mais que l’IRM montre une atteinte vasculaire, on envisagera plutôt une autre origine, comme une pathologie vasculaire, ce qui est assez fréquent chez les personnes âgées. Ces informations peuvent du coup aider à identifier les patients susceptibles de bénéficier de traitements, pour une intervention plus ciblée et efficace.
Nous prévoyons prochainement de recruter des patient·es à la clinique de cognition de l’IUGM afin de développer concrètement ces outils de pointe et, à terme, fournir aux cliniciens des instruments concrets pour les aider dans leurs décisions, en s’appuyant à la fois sur le profil biologique et cérébral de chaque personne. L’analyse des biomarqueurs plasmatiques joue ici un rôle central, car elle donne des indications précieuses sur l’état de santé du patient, ce qui permet d’adapter les interventions de façon plus personnalisée.
Qu’est-ce qui te fait vibrer dans la recherche ?
J’adore analyser des données et voir que mon travail est concret et utile pour les professionnels de la santé ! Chaque jeu de données peut révéler de nouvelles informations et ouvrir des pistes pour mieux comprendre la progression de la maladie d’Alzheimer. Ma spécialisation dans les biomarqueurs me permet, en combinant clinique et recherche, d’avoir une vision globale de la maladie et de sa complexité. J’apprécie également le travail d’équipe. Contrairement à ce que l’on pense parfois, la recherche n’est pas un travail en silo : c’est un vaste écosystème où la collaboration est essentielle et très stimulante. Je suis ravie d’en faire partie.
Rédaction : Brenda Pierucci, Agente de communication
Pour en savoir plus sur la maladie d’Alzheimer
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